Et si on pouvait laisser des fragments de racines ?
Article rédigé par Dr Jérôme D’Astous, DMV, Dipl. AVDC, et publié dans le Focus DMV du 29 mai 2014
La dentisterie serait beaucoup plus simple si on pouvait laisser tous les bouts de racines en place. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Mais cela ne veut pas dire qu’on ne peut jamais le faire.
Examinons une situation où vous avez fracturé une racine durant son extraction. Il faut tout d’abord vous demander si cela aurait pu être évité. Votre radiographie préopératoire, l’inspection du fragment cassé et de l’alvéole vous donneront souvent la réponse et vous aideront à ne pas répéter la même erreur. Profitez-en pour apprendre de celle-ci.
Sur une radiographie préopératoire, je recherche les formes anormales (dilacérations), l’ankylose donto-alvéolaire, les racines surnuméraires, la résorption dentaire… J’évalue aussi la proximité des structures adjacentes, que ce soit une autre dent, le canal mandibulaire, la cavité nasale ainsi que l’intégrité de l’os à proximité.
Bien planifier une extraction prend quelques secondes et peut vous épargner bien des maux de tête : il suffit d’une ou plusieurs radiographies dentaires.
Sans entrer dans les détails, il ne faut pas non plus tomber dans le piège de tenter une extraction simple alors qu’une extraction chirurgicale est de mise. Connaissez vos techniques d’extraction et aussi vos limites. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas les repousser un jour. Soyez aussi bien équipés !
Malgré tout votre bon vouloir, des racines cassées, il va y en avoir ! Voici l’approche que je vous conseille si cela arrive :
- Premièrement, il ne faut pas paniquer. Prenez une bonne inspiration !
- Puis, il faut le voir pour le croire ! Si vous voyez ce que vous faites, tout est possible ou presque. Je parle donc ici de bien voir le fragment de racine retenue. N’hésitez pas à modifier la position du patient ou à demander de l’assistance pour de la rétraction. Ajustez votre lumière pour bien voir dans l’alvéole. L’idéal, ici, est une lumière frontale DEL qui suit en tout temps votre regard et évite les ombrages. Des loupes chirurgicales sont aussi un outil qui vous deviendra vite indispensable. Je recommande un modèle avec une puissance entre 2 et 3.5 de grossissement. Rincez l’alvéole abondamment avec de la saline pour retirer les débris et le sang accumulé. Certains vont aimer travailler avec une petite succion. Je préfère simplement une gaze que j’insère à répétition et au besoin dans l’alvéole. Si un saignement est plus abondant ou persiste, je vais paqueter l’alvéole légèrement avec une gaze et faire autre chose pendant 3 à 5 minutes. On peut aussi rincer avec de la saline plus froide pour avoir une vasoconstriction. Je n’ai jamais eu recours personnellement à des liquides ou matériels hémostatiques. Un peu de patience et c’est tout. N’hésitez pas à faire ou agrandir votre lambeau comme vous pouvez également commencer ou prolonger votre alvéolectomie. Pour finir ce point, pensez à reprendre une radiographie pour vous orienter. Elle peut encore une fois vous épargner du temps contrairement à ce qu’on pourrait penser.
- On devrait considérer une technique d’extraction simple lorsque la forme et la longueur du fragment sont en notre faveur, lorsque celui-ci est peu profond dans l’alvéole ou lorsqu’il a déjà été mobilisé durant l’extraction préalable. Mes instruments de choix sont un élévateur à ailettes de taille adéquate, un petit élévateur à apex (root tip pick) ou un mini luxateur. De petites pinces à apex sont parfois aussi utiles.
- Si une technique d’extraction simple ne fonctionne pas, il vaut mieux rapidement changer pour une technique complexe ou chirurgicale. Celle-ci nécessite habituellement un lambeau et au besoin une alvéolectomie. On peut évidemment débuter par cette technique lors d’ankylose donto-alvéolaire, hypercémentose, résorption dentaire… ou lorsque la visibilité du fragment est inadéquate. L’alvéolectomie se fait habituellement du côté buccal ou autour du fragment, en prenant garde de ne pas endommager les structures voisines. J’utilise le plus souvent une fraise #700 d’une longueur chirurgicale.
Quand doit-on enlever les fragments ? En général, sauf contre-indication, on devrait les retirer. On ne devrait pas laisser un fragment de racine si celui-ci est infecté ou si on croit qu’il pourrait s’infecter. On devrait aussi retirer un fragment s’il est gros ou s’il a déjà été mobilisé par la tentative initiale d’extraction. Il faut aussi le retirer s’il risque d’engendrer d’autres problèmes telle une malocclusion.
Quand peut-on laisser un fragment en place ?
Voici maintenant, ce que vous attendiez tous, quatre arguments pour laisser un fragment en place :
- Le fragment est petit (moins de 4-5 mm)
- Le fragment est situé profondément et ne risque pas de s’exposer dans la cavité orale
- Le fragment est bien ancré dans l’os, ankylosé ou en voie de résorption
- Le fragment n’est pas infecté et n’a pas de lésion apicale non plus
Si ces quatre conditions sont remplies, on peut considérer laisser un fragment en place, si, bien sûr, les risques de l’enlever sont plus grands que les bénéfices attendus. Pensez-vous devoir retirer une quantité excessive d’os pour atteindre le fragment ? Un nerf risque-t-il d’être endommagé ? Y a-t-il un risque de pousser le fragment dans un autre espace, comme la cavité nasale ou le canal mandibulaire ?
Si vous choisissez de laisser un fragment en place, ça ne s’arrête pas là ! Le client doit être avisé de votre décision et le tout doit être bien inscrit au dossier, incluant votre discussion avec ce dernier. Une radiographie dentaire doit aussi documenter la présence du fragment. Finalement, on devrait aussi assurer un suivi. Le suivi devrait inclure une radiographie dentaire, mais l’intervalle pour la faire variera selon votre appréciation du risque. On peut refaire une radiographie un mois plus tard ou simplement lors des prochains soins dentaires.
Sur ce, bon succès !
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